On peut le dire sans chauvinisme, le réseau de sentiers quad fédéré québécois est le mieux organisé, le plus étendu et le plus sécuritaire au monde. Toutes les fédérations canadiennes regardent avec envie ce que les 3000 bénévoles du Québec ont réussi à construire durant les 25 dernières années. Les utilisateurs du réseau peuvent voyager d’une région à l’autre avec leur quad, et ce même l’hiver si la météo veut bien collaborer. Est-ce que tout sera pareil dans cinq ans? Est-ce que tout va pour le meilleur des mondes?
Ce qu’est l’activité quad fédérée
Sous l’égide de la Fédération québécoise des clubs quads, l’activité quad est un réseau de 23 000 km de sentiers qui couvre une bonne partie du territoire du Québec été comme hiver. La localisation des sentiers est variable selon les saisons et les régions géographiques.
115 clubs composés de 3000 bénévoles portent à bout de bras l’exploitation du réseau. 1600 bénévoles sont agents de sentier pour assurer la sécurité dans les sentiers, d’autres sont opérateurs de surfaceuse de sentier ou les entretiennent. On peut aussi compter sur d’autres bénévoles pour installer la signalisation, faire des travaux administratifs et de recherche de commandite. Ils font aussi des corvées de nettoyage pour enlever les arbres tombés dans le sentier dans un épisode de grand vent.
On retrouve aussi beaucoup de bénévoles qui font de la négociation avec les propriétaires terriens pour obtenir des droits de passage. C’est un volet qui est toujours à recommencer, car les terrains se vendent et les droits sont retirés. Les groupes financiers qui achètent les terres agricoles ne sont pas toujours friands de voir des quads rouler sur leur propriété. Sans compter les municipalités craintives et certains ministères récalcitrants avec lesquels il faut composer.
Beaucoup de travail de gestion est aussi requis dans l’exploitation d’un club. Gestion financière et comptabilité qui deviennent de plus en plus pointues. L’Agence du revenu du Québec n’entend pas à rire avec la perception de ses taxes. Il faudra aussi pouvoir gérer des sous-traitants pour des travaux sur les sentiers. Dans le cadre de projets majeurs, c’est la totale : demander les permis et autorisations, établir les plans avec les professionnels, faire les demandes de subvention, assurer la surveillance des travaux, rédaction des rapports de fin de projet.
Étant donné la complexité des tâches administratives qui ne cessent de croître, la FQCQ a mis en place il y a quelques années une équipe de 15 agents de liaison dont la tâche est de supporter les clubs dans les dédales de paperasses et de les guider avec les changements de règlements.
Le capital des bénévoles
Les clubs peuvent bien posséder de belles machines d’entretien de sentier (nda : et encore! On a des croûtes à manger avant d’arriver aux chevilles de la motoneige), des garages entrepôts pour certains, la véritable richesse qu’ils possèdent est le capital du travail des bénévoles. Ce capital sur lequel les usagers mécontents, qui n’ont aucune idée du travail colossal qu’exige l’exploitation d’un club quad, crachent leur venin par les réseaux sociaux. Croyez-moi, tout bénévole sentira un moment de découragement à lire ces « marques d’appréciation » d’un sentier difficile dont la cause première est des conditions météorologiques sur lesquelles il n’a aucun contrôle.
Pour mettre une somme pécuniaire sur la valeur du travail des bénévoles qui oeuvrent sur le réseau, nous pouvons faire une estimation sommaire. Si chaque bénévole met 20 heures par semaine, à un tarif horaire de $15.00 de l’heure, on pourrait écrire l’équation suivante :
3000 bénévoles x 20 hres x 50 semaines x $15.00 /heure = $45 000 000. 00
45 millions de dollars récurrents année après année. Si tout le bénévolat disparaissait d’un coup, le prix des cartes de sentier annuelles exploserait à $1425,00 (d’accord, $1395,00 en prévente). A-t-on vraiment le moyen de cracher du mépris sur ce capital humain? De plus, pensez-vous réellement qu’il soit acquis à jamais?
La fermeture des clubs
Lors du dernier congrès annuel de la FQCQ et ceci dit sans préjudice aux principaux concernés, car j’en fais partie, j’ai été frappé par le ratio de têtes blanches qu’il y avait parmi les administrateurs. Beaucoup d’expérience de gestion de clubs, mais ces gens sont aux gouvernes depuis un bon bout de temps. Il témoigne aussi d’un problème beaucoup plus criant et sournois : l’absence de relève parmi les bénévoles.
Cette carence se fait déjà sentir concrètement sur le terrain. L’an passé, le club St-Gabriel de Brandon a dû se dissoudre parce qu’il a été incapable de former un nouveau conseil d’administration. Les usagers n’ont pas vraiment souffert de cette fermeture, car les clubs avoisinants ont absorbé le réseau de sentiers. Par contre, il y a une limite au nombre de clubs que les voisins peuvent intégrer.
Qu’arrivera-t-il si les clubs cessent d’opérer sur une plus grande échelle dans la même région? Le problème se pose actuellement en Gaspésie dans le monde des clubs de motoneige. La Fédération des clubs de motoneige du Québec (FCMQ) y fait présentement un projet pilote de prise en charge de la signalisation et du surfaçage de sentier à la place des clubs locaux. Les clubs locaux ont toujours la responsabilité de la négociation des droits de passage. C’est une opération extrêmement délicate, car il faut éviter que les bénévoles qui restent ne se désengagent totalement de leur implication ou pire, qu’ils pensent que la Fédération veut prendre le contrôle. Car si le surfaçage peut être géré à distance via l’agent de liaison de la FCMQ, il est illusoire de penser que la négociation des droits de passage peut l’être. Ce sont des gens locaux qui connaissent la région et les propriétaires qui peuvent le faire. Il va sans dire que la FQCQ regarde avec grande attention comment les choses se passent.
L’innovation est-elle encore au max?
Avec l’âge moyen des équipes de bénévoles qui ne cesse de croître, on peut se demander si les clubs cherchent toujours à rayonner socialement pour assurer la croissance du sport en général. C’est-à-dire qu’ils se campent de plus en plus dans leur rôle d’exploitant de réseaux de sentiers et font de moins en moins d’activités sociales dans leur milieu qui rassembleraient les quadistes et qui aurait pu donner l’envie à des gens qu’acquérir un quad pour joindre la communauté. En effet, les festivals se font plus rares et ça ne se bouscule pas aux portes pour faire les Jamborees de la FQCQ.
Mais peut-on vraiment s’en surprendre? Avec le resserrement des effectifs de bénévoles, les clubs coupent dans la dentelle et se concentre sur leur mission première qui est d’opérer un réseau de sentiers de quad. Et comme rien n’est simple en ce bas monde, l’environnement d’opération ne cesse de changer et de se complexifier. Des exemples?
La nature des véhicules hors route :
il y a quinze ans, les gens pestaient contre les quads sport qui étaient la source de tous les problèmes : bruits, nuisances dans les villages, ornières dans les sentiers d’hiver (avec une garde au sol de 150mm…). Ces petits quads performants peu dispendieux qui étaient accessibles aux jeunes quadistes ont fait place à de gros autoquads qui, bien gavés de leur turbo, sont encore beaucoup plus performants que les racers. Par contre, ces autoquads apportent un lot important de problèmes : encombrement important en sentier, poids et puissance qui sont très durs pour la surface de neige des sentiers, importante vitesse atteinte par les pilotes les plus intrépides, une minorité malheureusement remarquée, qui sont grisés par la cavalerie qui leur pousse dans le dos. Pour faire durer les sentiers le plus possible aux attaques mécaniques des pneus, les clubs ont changé le mode de surfaçage en passant de la compaction de la neige à l’enlèvement avec une gratte ou une souffleuse.
Les changements climatiques :
ils ont le dos large les changements climatiques, mais leur influence est indéniable. Les hivers sont plus difficiles depuis quelques années : bordées de neige importantes et fréquentes, redoux et verglas, rage de vents soutenus. L’été, les orages violents sont plus fréquents et causent des coups d’eau qui peuvent détruire la surface de roulement d’un sentier en moins de 15 minutes ou encore saper complètement un ponceau. Quand on sait qu’avec le nouveau RADF, un ponceau de 1200 mm de diamètre muni d’une passe pour les poissons coûte en moyenne $16 000…
La pression règlementaire :
On a abordé le sujet des milieux humides dans les derniers numéros qui sont maintenant régis par deux règlements distincts. Celui qui couvre les terres publiques est le Règlement sur l’aménagement durable des forêts du domaine de l’État (RADF). Il légifère notamment les activités visées, la préservation des milieux humides, les normes de voirie forestière et l’aménagement et autres détails comme la récolte de bois et la cohabitation des usagers. Par exemple, depuis l’édiction du RADF, tout ponceau doit être fait après un calcul du bassin hydrographique et avoir déterminé si le cours d’eau est un habitat du poisson et évidemment et finalement, il doit être construit dans les règles de l’art. Les coûts des aménagements ont explosé et pour avoir toutes les autorisations nécessaires, cela peut prendre quelques mois.
Le deuxième règlement concernant les milieux humides s’applique sur les territoires organisés. C’est la Loi concernant la conservation des milieux humides et hydriques (LCMHH) qui traite pour sa part du cadre règlementaire, des normes à respecter, des certificats d’autorisation, de l’établissement de compensation pour atteinte aux milieux humides. Le grand principe d’application de cette loi est les trois étapes à suivre : éviter de toucher le milieu humide, minimiser l’impact en prenant des mesures pour réduire l’impact de pertes de milieux humide ou compenser les pertes de milieux humides conformément à la règle de calcul établie par le règlement. La compensation demandée est massive. Un sentier qui traverse une tourbière sur 3 kilomètres pourra couper jusqu’à $ 2 000 000 en frais compensatoires!
Les cultures biologiques :
plusieurs cultivateurs adoptent les cultures biologiques dans leurs champs. En effet, en plus de s’éviter d’utiliser des pesticides et engrais chimiques dans leurs cultures, ceux-ci verraient le rendement des terres s’améliorer. Il est donc probable que le mouvement qui a commencé dans Lanaudière cet hiver prenne de l’ampleur dans le futur. Le problème? C’est qu’afin d’avoir leur certification bio, les terres doivent être libres de tout rejet d’hydrocarbure. Les VHR sont donc expulsés des terres bio.
Les pertes de droit de passage à cause de la délinquance :
rien de plus décourageant que de recevoir un appel d’un propriétaire terrien ou d’une municipalité qui vous annonce que le sentier est fermé dès maintenant. Beaucoup de clubs de motoneiges et de quads vivent ces situations à cause des motoneiges hors-piste déchainées, de VUS ou de camionnettes qui testent leur véhicule dans les sentiers. Désolant, car l’expulsion des terrains est causée par des gens qui ne sont pas membres des clubs et n’ont que faire de la propriété d’autrui. Ils reviendront plus tard ou iront faire leurs méfaits ailleurs.
Les défis qui pointent à l’horizon
Tout d’abord, quand on prend conscience de toute l’ampleur des obstacles qui se dressent devant eux, on ne peut qu’admirer l’abnégation et la résilience des bénévoles dans l’exécution de leur mission. Malgré toute leur détermination, on comprend que les limites commencent à poindre dans l’univers du quad fédéré et aussi de la motoneige. On discerne également que les méthodes actuelles d’exploitation des sentiers et des clubs sont saturées et ne pourront se perpétuer indéfiniment de la même façon si la relève n’arrive pas à la rescousse rapidement.
Si l’impensable se produit et que les bénévoles désertent les clubs, est-ce que les sentiers resteront silencieux ou faut-il dès maintenant trouver des moyens pour soulager la charge de travail des bénévoles?
Pour se faire, il faudrait tout d’abord une source de financement plus importante pour rémunérer des employés à la semaine qui feront les travaux manuels du club, gèreront l’entretien de la machinerie et manœuvreront les machines d’entretien de sentier. Cette avenue est déjà employée dans certains clubs de la province et le résultat est probant.
Si cela s’avère insuffisant, est-ce que l’avenue utilisée par la FCMQ qui est de reprendre certaines opérations terrain directement par la fédération est souhaitable? Est-ce que cette intervention sera bien accueillie par les bénévoles des clubs ou au contraire, sera-t-elle perçue comme une prise de contrôle qui poussera tous les bénévoles à quitter le bateau? C’est une interposition extrêmement délicate qui devra être bien évaluée, expliquée et coordonnée avec le milieu.
Bref, le principal défi qui s’adresse maintenant aux clubs de la FQCQ n’est pas de demeurer le plus grand réseau de sentiers VHR au monde, mais de trouver la façon de s’adapter pour éviter de s’effondrer.