Il y a longtemps que l’on parle du modèle d’affaires du quad fédéré au Québec qui est basé sur le travail des bénévoles. On dit qu’il est suranné et qu’il menace de s’écrouler dans quelques années. Malgré toutes les complications de toute sorte qui s’ajoutent d’année en année, les résilients bénévoles des clubs quad résistent en tentant de répondre à leurs membres qui les somment de fournir les sentiers pour lesquels ils ont « grassement » payé via le droit d’accès. Après toutes ces années d’opiniâtreté, la cuirasse se lézarde sérieusement. Et le péril que l’on attendait dans quelques années est en la demeure dès cette année.
Le mur est là
Les autorités supérieures qui chapeautent le quad prévoyaient un « clash » du modèle d’affaires dans un horizon proche. Même les hauts fonctionnaires du MTQ sont conscients que le plan d’affaire de la FQCQ, qui repose en très grande partie sur les épaules des bénévoles, ne pourra durer longtemps. Consciente que le temps presse, la FQCQ a enclenché un plan de réforme qui commençait par une ronde de consultation à son AGA de 2019 et qui devait se poursuivre toute l’année pour culminer à l’AGA 2020. Malheureusement, les deux vagues du COVID mettent des bâtons dans les roues et retardent de beaucoup la cadence des consultations: la tournée provinciale amorcée en janvier 2020 s’est terminée en octobre, juste avant que la deuxième vague du coronavirus ne s’emballe. Cette consultation a mis une réalité en lumière : tout le monde pensait qu’on avait encore un peu de temps pour amorcer un virage, mais dans les faits, on a déjà la face dans le mur.
Ma prise de conscience s’est fait un soir de réunion d’association régionale qui a eu lieu en septembre dernier. J’y ai entendu un bénévole de 76 ans, l’air dépité, qui expliquait que son club ne pouvait plus être tenu à bout de bras avec quatre bénévoles et 60 membres en hiver. Un autre président de club, d’un ton consterné, explique qu’il essaie depuis quelques années de garder son club ouvert en hiver, mais il ne peut pas éthiquement prendre l’argent des 200 membres d’été pour ouvrir en hiver quand il a seulement 40 membres en hiver. Alors, avec grand regret, il affirme que pour lui aussi que le surfaçage des sentiers est grandement compromis cet hiver. Si cela devait arriver, cette région, qui était pourtant florissante il y a quelques années à peine, serait morcelée en trois sections isolées. Du coup, le quadiste se retrouve à tourner en rond dans un ou deux clubs et l’offre de sentiers devient beaucoup moins alléchante. Cette tragique réalité apparait dans plusieurs régions de la province. Comment ces valeureux exploitants de clubs se trouvent-ils mis ainsi au pied du mur?
La mutation irréversible
L’activité fédérée a grandement changé depuis les 20 dernières années et l’exploitation d’un club, face à la réglementation environnementale, au fisc, à l’acceptabilité sociale, aux responsabilités de sécurité des sentiers ou à la clientèle qui a énormément changé et pas nécessairement pour le mieux. Beaucoup d’administrateurs en place, comme Gédéon, ont vécu les grands changements des dernières années et, bien qu’ils continuent de tenir le fort afin de remplir leur mission, ils savent que le retour aux belles années est impossible.
Il est loin le temps où les sentiers se faisaient dans le bois vert, d’une largeur d’à peine 6 pieds, les ponceaux se réglaient avec de vieux réservoirs de chauffe-eau. La signalisation? Quelques panneaux artisanaux en Coroplast et l’affaire était résolue. Il était normal qu’un quad se retrouve immergé jusqu’aux marchepieds quelquefois dans la randonnée et il ne déplaisait pas de mettre à l’épreuve le système à quatre roues motrices de notre monture. La vie en sentier était bien simple, les obstacles surmontés dans la bonne humeur et la débrouillardise. Quand Gédéon se remémore ces temps bénis et les compare avec l’univers quad dans lequel il doit maintenant évoluer, il se dit que les choses ont bien changées et vraiment pas pour le mieux.
Le labyrinthe réglementaire
Tout d’abord, ils sont accablés par la lourdeur de la paperasse administrative exigée par les différents paliers de gouvernement. Les OBNL sont scrutés de plus près par le fisc et les clubs se doivent d’avoir une comptabilité au-dessus de tout reproche. Devant les pièges de la fiscalité ainsi que l’obligation d’avoir un rapport comptable annuel certifié par un comptable agréé, les clubs doivent faire affaire avec des firmes spécialisées. Côté environnemental, les entrepreneurs, les villes et autres corporations s’arrachent les cheveux lorsqu’ils fraient avec le ministère de l’Environnement à cause des demandes immodérées en documents préparatoires à un projet, aux droits compensatoires pour les milieux humides et autres contraintes de toute sorte pour faire aboutir un projet. Faire un tronçon de sentier en urgence à cause d’un droit de passage crucial perdu relève du cauchemar. À tel point que lorsqu’un tracé leur est proposé par un propriétaire sur un terrain solide, les responsables de clubs déclineront l’offre s’ils repèrent des arbustes d’aulne rouge, plante caractéristique d’un milieu humide. S’y aventurer pourrait coûter quelques centaines de milliers de dollars au club, sans aucune garantie qu’il ne se fera pas bouter hors du terrain l’année d’après par un nouveau propriétaire.
En 2020, les clubs sont confrontés à une machine gouvernementale dont la main gauche ignore et se fout de ce que fait la main droite. Un exemple des plus flagrants est la Loi LVHR, chapeautée par le MTQ qui prévoit que les clubs peuvent obtenir un droit de faire un sentier et de l’exploiter sur les terres publiques par le MRNF. De son côté, le MRNF néglige de délivrer les permissions et de donner l’exclusivité de circulation lorsque les clubs reprennent un chemin forestier sur lequel la nature a repris ses droits en dressant des bouleaux de 6 pouces sur la souche. Pire, les clubs devront reconstruire des ponts de 60 tonnes de capacité sur lesquels l’industrie forestière pourra aller cueillir le bois. Tout pour rendre Gédéon heureux de faire des sentiers dans le bois. On pourrait s’étendre longtemps sur le sujet gouvernemental, mais on retiendra que les clubs doivent se débattre dans un labyrinthe réglementaire inextricable, sans fin.
Les véhicules en sentier
Aux débuts de l’implication de Gédéon dans les sentiers, les gens roulaient des Kodiak 400 et tombaient en pâmoison devant un Vinson avec son style qui a fait école. Ces machines légères flottaient bien sur la neige compactée et pouvaient s’accommoder d’une surfacée avec une machine pas trop performante qui ne brassait pas la neige trop profondément. On fustigeait les quads sports qui labouraient supposément les sentiers alors qu’ils avaient une garde au sol de 15 centimètres. Évidemment, le parc des véhicules hors route s’est considérablement renouvelé depuis ce temps. Les quads sports sont disparus de la carte et les véhicules de type côte-à-côte sont apparus, suscitant la curiosité des adeptes et attirant une nouvelle clientèle. Ces machines ont maintenant dépassé le cap critique des 50% de véhicules qui achètent les droits de sentiers dans les sentiers, sans compter l’augmentation en taille, poids net et de puissance dont ces véhicules font l’objet.
Le hic avec les véhicules côte-à-côte, c’est que les clubs n’ont pas pu faire évoluer leur réseau de sentiers pour accepter ces bêtes mécaniques beaucoup plus exigeantes pour leur milieu. Ils ont peiné à élargir les passerelles pour faire passer un VCC de 64 pouces, ce qui a drainé beaucoup de ressources financières. Pour la saison hivernale, quelques clubs plus riches, qui ont la chance de ne pas passer sur des terres agricoles, ont pu changer leurs machines d’entretien pour des plus performantes afin de déblayer la neige. Mais la majorité, avec les maigres subventions par année dont quelques-uns disposent, doivent conserver leurs vieillissants surfaceurs. Mon club local continue d’utiliser deux TM-130 Sure Track que j’ai moi-même acquis en 2006 et 2008 alors que j’étais président de ce club. Évidemment, avec les subsides disponibles, le club ne peut même pas envisager de les rajeunir et doit tenter de maintenir sur des pistes de neige durcie des véhicules qui pèsent plus que les Honda Civic et Geo Metro de ma jeunesse. La commande est très lourde, sans jeu de mots.
La problématique de la surface de neige compactée est une chose, mais les capacités dynamiques de ces machines en sont une autre. Le réseau de sentiers en milieu boisé n’a pas été élargi outre mesure. Or, il arrive souvent que l’on rencontre ces engins qui circulent à une vitesse frisant celle pratiquée sur les routes nationales. En se questionnant sur l’espace requis pour faire rencontrer deux véhicules de la sorte qui occupent chacun l’espace d’une automobile, on en vient à comprendre que la largeur sécuritaire devrait ressembler à celle d’une route de rang, ce qui est très rarement le cas d’un sentier fédéré type. Il y a donc un sentiment de crainte de rencontrer un missile qui se développe chez les autres usagers. Est-ce qu’il faut penser que les sentiers sont inadaptés pour les VCC? C’est une affirmation erronée sachant que les gens comme Gédéon ont développé le réseau il y a 25 ans pour des quads ordinaires. Les sentiers sont inadaptés pour les VCC qui y circulent en s’accommodant de l’espace disponible. La circulation des plus gros est problématique, surtout si son conducteur se met dans la tête d’en exploiter la puissance.
Le financement déficient
On ne peut pas faire le tour de la situation sans parler du sous-financement chronique de l’activité quad fédérée au Québec. Comment peut-on demander à une organisation de bénévoles d’assurer un réseau de sentiers pendant 12 mois durant avec la moitié du financement de la fédération des motoneiges? Les subsides gouvernementaux n’ont pas augmenté depuis des lustres, et se limitent à ceux du MTQ pour l’entretien des sentiers et pour l’achat de machineries. Cette dernière subvention n’est que de $50 000 alors que les machines de surfaçage de sentier coûtent 250 000 $ et plus. Malheureusement, jusqu’à cette année, les clubs quad n’ont pas accès aux généreuses subventions de DEC Canada, à l’instar des clubs de motoneige. Bien qu’on puisse se réjouir de cette nouvelle source de financement, le mal est déjà fait et le redressement de la flotte des machines d’entretien prendra encore plusieurs années.
Donc, les clubs sont coincés, car les sources de financement externes sont à peu près au même niveau depuis dix ans alors que les frais requis pour la reconstruction d’un simple ponceau ont plus que décuplé. Il reste le coût des droits d’accès qui peut être majoré, mais Gédéon et ses pairs savent que toute hausse du droit d’accès est difficile à faire, à tel point qu’ils se sont abstenus pendant 5 ans de l’augmenter pour éviter la houle de mécontentement généralisé des membres. Une hausse de 35,00 $ a été demandée cette année, car les clubs, exsangues, n’en pouvaient plus. Comme Gédéon l’anticipait, l’ensemble des clubs a encaissé toute une bordée d’invectives parce qu’ils ont osé demander une augmentation aux usagers de sentiers.
Changement de la clientèle
Les gens dans les sentiers ont bien changé depuis 20 ans. Lorsque Gédéon a commencé à rouler dans les bois, le plaisir était de se faire des petits sentiers, de relaxer en se promenant et en prenant des pauses café lorsque les sites étaient intéressants. Avec le temps, la distance entre les destinations a augmenté et les quadistes participent de moins en moins à l’effort de maintien du réseau et sont de plus en plus clients. Ils paient la carte de membre, ils veulent rouler. L’attitude des usagers des sentiers est devenue très intransigeante envers les bénévoles qui se font reprocher sans cesse que les sentiers ne sont pas parfaits en tout temps. Cette année, Gédéon a eu le déplaisir de lire sur les réseaux sociaux que des membres voulaient avoir une ristourne sur le prix de la carte de droit d’accès à cause des fermetures de sentier du printemps lors de la première vague du COVID. Belle claque sur la gueule en fait de reconnaissance de l’engagement bénévole.
Le tableau est sombre et la situation est devenue grave, car le réseau est déjà à risque d’imploser par endroits et les efforts de réforme engagés par le CA de la FQCQ se trouvent englués dans le marasme de la pandémie du Covid. On pensait que le monde fédéré du quad au Québec était acquis à jamais, mais il a commencé à s’écrouler, car le modèle d’affaires actuel est suranné et la magie de l’engagement bénévole ne suffit plus pour compenser.