Scott Jonction, c’est dans ce village beauceron que nait en 1964 Carl Patoine, dans une ambiance motorisée. Son père possède un garage pour produits récréatifs et petits moteurs, Yamaha, Suzuki et les motoneiges Moto-Ski. C’est d’ailleurs sa première motoneige, une Cadet 250. Ernest, le père, est aussi un pilote de course sur une Moto-Ski trois cylindres. Il court avec les frères Villeneuve, Gilles et Jacques, et Yvon Duhamel.
À quatre ans, Carl parade sur sa moto Skeeter, la mini-moto de Moto-Ski. La vie est belle jusqu’au 24 août 1974, une date marquante pour Carl. Son père Ernest descend à la cave pour couper une pièce métallique. Il ne sait pas qu’un réservoir fuit, laissant émaner des vapeurs d’essence.
À la première étincelle, c’est le drame. Une explosion retentit. La puissance de la déflagration projette le père de Carl à travers la porte. Son corps est en flamme et il subit des brûlures au troisième et quatrième degré sur tout le corps. Heureusement, il va vivre, mais sa guérison sera longue.
Pendant ce temps-là, Carl, du haut de ses dix ans, fait face à l’adversité. Il ne baisse pas les bras et entreprend de nettoyer le garage. Son premier acte d’entrepreneur peut-être.
Puis le jeune beauceron voit arriver chez lui la communauté, beaucoup d’agriculteurs qui vont aider à remettre le garage sur pied. Il découvre l’entraide. 45 ans plus tard, il est resté fidèle à cette région qu’il aurait pu quitter pour aller à la ville.
Les affaires paternelles reprennent, avec Suzuki et Bombardier (qui a racheté Moto-Ski).
Carl ne se sent pas à sa place sur les bancs de l’école et il abandonne les études après le secondaire 1. Il part travailler, dans le tabac ou la construction, jusqu’en Alberta. Puis il revient au Québec et passe trois ans à vendre des voitures, un métier lucratif. C’est le temps d’aller aider son père dans l’entreprise familiale. Mais la paye n’est pas au rendez-vous. Alors il propose à son père d’être payé au pourcentage plutôt qu’à l’heure. Et le salaire augmente, en même temps que les ventes.
Le 22 février 1993 est une autre date marquante. Il rencontre Hélène Binet, une habitante de St-Benoit-Labre. C’est le début d’une belle aventure. Ils vont avoir trois enfants et travailler ensemble, Hélène apportant sa connaissance dans la comptabilité, les finances, le commerce international, le marketing, toutes des compétences complémentaires aux aptitudes de Carl.
On n’échappe pas à l’influence héréditaire, notre jeune amoureux se lance dans la compétition de moto «road race ». Deux années en amateur, une année en pro, il remporte un championnat et se bat contre des pilotes comme Mario Duhamel, Michel Mercier ou Steve Crevier. La dernière année, il court sur une Suzuki RG 500. Mais les budgets font défaut et il se concentre sur l’activité familiale.
Son père tombe malade à 55 ans, et l’entreprise est vendue en 1996. Carl doit se trouver un nouvel emploi. Avide de grands espaces, il devient camionneur de longue distance. Après avoir fait le tour de la profession, il comprend qu’il est un gars de sports récréatifs.
En 2003, il voudrait ouvrir un magasin. C’est alors qu’Hélène, qui s’y connait en commerce international, lui suggère une nouvelle voie qui va changer leur vie. « Il faut importer des véhicules ! » Aussitôt dit, aussitôt fait, ils dénichent et importent une marque de VTT vietnamienne, A.I.E. Mais ce n’est pas si facile. Il faut homologuer les produits à Transport Canada, et cela ne va pas vite, surtout quand on dérange les grosses marques en place. Carl a conservé son autre travail pour vivre pendant ce temps-là.
Un kiosque 10 x 10 est réservé au show (Salon )de Québec. Puis, il parcourt le pays avec une petite remorque en tôle 5×10 et trois véhicules dessus. 89 concessionnaires sont ouverts ! Une belle réussite. Mais le produit n’est pas à la hauteur de ses attentes.
Carl est habitué aux fabricants japonais ou québécois, organisés, avec des produits fiables et bien conçus.
Avec A.I.E, de nombreux problèmes de fiabilité et de conception surgissent. Notre importateur garde la tête haute, il ne se défile pas devant les demandes et il prend en charge les malfaçons.
Les bénéfices fondent comme neige au soleil, mais notre Beauceron a de la force de caractère. Il assume. Lui et sa conjointe ne baissent pas les bras. En novembre 2005, ils prennent la direction du salon de l’Eicma à Milan pour trouver une nouvelle marque à distribuer. Parmi les 200 marques chinoises, ils trouvent CFMOTO, qui est la seule marque avec un VTT 4×4. Deux quads sont envoyés par avion pour les premiers tests qui sont concluants. Au mois d’avril 2006, après 18 heures d’avion jusqu’à Shanghai et deux heures de bus, Carl se retrouve à Hangzhou, au siège de CFMOTO, pour le dévoilement des nouveaux modèles.
Les Chinois lui demandent de prendre le guidon pour faire la présentation devant 800 distributeurs présents ! Le contrat est signé pour la distribution au Canada. Enfin, pas tout à fait, car les dirigeants de CFMOTO ont également fait des promesses à une société du Manitoba. Carl ne baisse pas les bras et fait savoir qu’il veut le Canada au complet ou rien du tout. Il obtient gain de cause et l’aventure CFMOTO peut commencer.
Avec l’expérience passée, il va travailler à fiabiliser les véhicules avec des produits de meilleure qualité, comme les embrayages CVTECH, ou pendant un certain temps, les suspensions Elka, qui sont toujours présentes sur des éditions spéciales. Dans le cas de CVTECH, les produits équipent maintenant les CFMOTO à travers le monde. Le système de filage étanche est réalisé par la firme japonaise Sumimoto et les batteries Yuasa sont préférées aux originales. Pour enlever les craintes, les CFMOTO sont garantis 5 ans, une première dans l’industrie. Avec cette stratégie, la marque fait sa place et s’améliore.
Carl Patoine ne confond pas vitesse et précipitation, mais il sait aller vite. Par exemple, il reçoit un nouveau véhicule à deux heures du matin. Immédiatement, il le sort de sa caisse, le monte et l’essaye. À 7 heures du matin, il demande à Hélène Binet d’en commander 500 !
La compétition est importante également. Le Snyper 600 a couru au Supercross de Montréal et les 12 Heures d’endurance de La Tuque ont été l’occasion de montrer les performances des côtes à côtes.
D’autres véhicules ont été importés par la société CMI. Il y a eu l’épisode scooters Peugeot. Le marché du scooter était en hausse en 2007 et le couple convainc la société française de leur confier la distribution des petits deux-roues. Ils organisent une présentation à Québec et réussissent l’exploit de prendre des précommandes pour 3000 scooters ! Mais l’économie s’effondre en 2008. GE Capital qui finançait les concessionnaires se retire. Les magasins ne peuvent plus financer et annulent les commandes. Les ventes des scooters baissent de 80%. La société perdra pas mal d’argent avec ça.
Mais cela ne refroidit pas les ardeurs de l’homme d’affaires. Il vient de reprendre la distribution de la marque de moto française Sherco, des motos hors route performantes.
Et il a déjà un autre projet, dans un autre segment, pour diversifier et éviter de mettre « tous les œufs dans le même panier ».
Sur le plan personnel, Carl et Hélène ont trois enfants, Alexandre, Olivier et Émilie, qui ont tous travaillé ou travailleront dans l’entreprise.
Quand il ne travaille pas, Carl aime partir dans le bois, bûcher, être en contact avec la nature. Il aime chasser également l’orignal ou le chevreuil.
Il vit maintenant à côté d’une belle terre à bois, dans une demeure avec une écurie et des chevaux, la passion d’Hélène.
Pour terminer l’entrevue, Carl Patoine confie : « Mon objectif, c’est la satisfaction de mes clients. Ce qui me tient à cœur, ce sont les valeurs et l’honnêteté ».