Que voilà un titre qui se veut catastrophiste pour discréditer la lubie de la préservation des milieux humides, n’est-ce pas? Si c’est ce que vous pensez, je vous arrête dès maintenant: tous dans le milieu du développement du quad se font un point d’honneur de préserver les milieux humides. Tous ont compris que ces écosystèmes sont parmi les plus riches et utiles que mère Nature nous a gratifié.
Alors, pourquoi parler de cauchemar? Parce que législateur québécois vient d’adopter, à l’hiver 2018, une loi et un règlement portant sur l’environnement et plus spécifiquement pour la préservation des milieux humides qui compliqueront excessivement la vie de tous les promoteurs et développeurs du Québec. Que l’on parle des clubs quad ou de motoneige, des municipalités, des promoteurs immobiliers ou industriels, gouvernement provincial ou municipal et du propriétaire foncier, tous seront impactés par ces deux règlements.
Celui qui couvre les terres publiques est le Règlement sur l’aménagement durable des forêts du domaine de l’État (RADF). Il légifère notamment les activités visées, la préservation des milieux humides, les normes de voirie forestière, l’aménagement et autres détails comme la récolte de bois et la cohabitation des usagers. Le deuxième, qui s’applique sur les territoires organisés, est la Loi concernant la conservation des milieux humides et hydriques (LCMHH) qui traite pour sa part du cadre règlementaire, des normes à respecter, des certificats d’autorisation, de l’établissement de compensation pour atteinte aux milieux humides.
Dans un cas comme dans l’autre, le sujet est devenu très complexe et technique et les clubs quads doivent absolument s’adjoindre l’aide d’ingénieurs, de biologistes et de techniciens qualifiés pour passer à travers les étapes à faire pour établir un nouveau sentier. Comme le sujet est très vaste, nous traiterons du RADF dans la première partie de l’article dans ce numéro et nous aborderons la LCMHH dans un prochain numéro.
Qu’est-ce qu’un milieu humide?
Avant toute chose, de quoi parle-t-on quand on parle de milieu humide? Le milieu humide doit répondre à quelques caractéristiques pour être considéré comme tel. Un milieu humide est situé à la rencontre de l’eau et de la terre où il assure la transition entre les deux. Cet écosystème est parfois désigné comme étant marais, tourbière, plaine inondable, bande riveraine, marécage, étangs, etc. Ces sites sont saturés ou inondés durant un cycle suffisamment long pour influer sur la composition du sol, de la végétation et la vie biologique.
Les milieux humides ne se limitent pas à abriter les têtards et grenouilles. Ils remplissent de multiples fonctions insoupçonnées. Ils participent au cycle de l’eau, régularisent le niveau de l’eau, préviennent l’érosion, filtrent de façon très efficace les eaux et abritent la faune.
Tiré de la présentation: Lachance D., Définition, identification et délimitation des milieux humides, Direction de l’expertise en biodiversité, MDDELCC, mars 2017
Tel qu’illustré ci-dessus, les milieux humides peuvent prendre plusieurs formes. Par contre, elles seront sujettes aux mêmes protections par la règlementation québécoise, notamment le RADF.
Qu’est-ce que le RADF?
Le Règlement sur l’aménagement durable des forêts du domaine de l’État (RADF) s’applique sur le territoire forestier du domaine de l’État jusqu’à la limite nord du domaine de la toundra forestière. Bref, on parle de toutes les terres publiques du Québec.
Il régit et encadre les différentes activités que l’on peut retrouver sur les terres publiques, telles que l’abattage et la récolte de bois, la construction, la construction, l’amélioration, la réfection et l’entretien d’infrastructures telles que, vous l’aurez deviné, les sentiers de quads et de motoneiges et toute autre activité qui pourra avoir un effet tangible sur les ressources du milieu.
Notamment, on y encadre la protection des lieux et territoires particuliers, celle des milieux aquatiques et riverains, des habitats fauniques. Aussi, les chemins (auxquels sont assimilés les sentiers quad et de motoneige), les sablières et infrastructures forestières. Aussi, le législateur aura eu soin de garder une cohérence avec la loi fédérale sur les pêches quant aux lignes directrices pour le libre passage du poisson dans les cours d’eau
Le RADF édicte aussi des distances minimales qu’un sentier devra respecter pour être implanté. Un sentier ne peut passer à moins de 60m d’un chalet, d’un refuge, d’une base de plein air, d’une réserve écologique, etc. De même, pour éviter d’être soumis aux règles particulières des milieux humides, le sentier devra passer à au moins 60 mètres de ceux-ci. À moins de 20 mètres, il faudra une dérogation ministérielle (rien de moins!) et à moins de 60 mètres, une permission du ministère, mais préparez-vous à fournir un argumentaire étoffé.
Enfin, le RADF cherche à mettre de l’ordre dans le partage et l’utilisation du territoire entre les groupes d’usagers. Ainsi, un sentier de quad ne pourra plus être utilisé par l’industrie forestière pour sortir le bois, ce qui est une excellente nouvelle. Aussi, selon l’esprit du règlement, les différents usagers devront conjointement effectuer les réparations des chemins abimés ou inutilisables. Bonne chance pour amener les différents usagers à mettre conjointement de l’argent dans la cagnotte pour faire les travaux.
Concrètement, comment cela se reflète-t-il dans un projet de sentier?
Imaginons un scénario fréquent : un des terrains sur lequel passait le sentier du club a été vendu et le premier geste posé par le nouveau propriétaire a été de déchirer le droit de passage. Le club s’est donc trouvé un trajet palliatif pour rétablir la liaison. Il s’agit d’un chemin désaffecté sur les terres de l’État.
Une brève visite des lieux permet de constater que le vieux chemin s’approche d’un ruisseau au niveau de la berge pour reprendre de l’autre côté. En guise de ponceau, il y a un vieux tuyau de tôle ondulée déposé dans le fond du ruisseau. Les clubs de motoneige poussent la neige par-dessus l’hiver avec la surfaceuse. Sachant que le RADF est entré récemment en vigueur, les administrateurs du club demandent l’aide de l’agent de liaison de la fédération pour avoir son avis. Ce dernier a reçu une formation pour reconnaitre les situations à risque et pour diriger les clubs dans leurs démarches. Après une reconnaissance des lieux, l’agent de liaison énumère les étapes à suivre pour réaliser le projet :
• Tout d’abord, il faut vérifier si la piste est un chemin répertorié et le cas échéant, savoir sa catégorisation. Si la piste n’est pas un chemin, il faut demander un permis pour faire un sentier. Si oui, la demande de permis sera plutôt pour l’amélioration d’un chemin forestier.
• En deuxième lieu, il faut faire un ponceau en bonne et due forme. En passant, les sentiers de motoneiges sont maintenant inclus dans la définition de sentier avec les quads dans le règlement. En conséquence, ils seront également tenus de faire les travaux de sentiers dans les normes et ne pourront plus se contenter de jeter un tuyau dans le ruisseau pour l’enterrer de neige.
Pour en revenir au ponceau, il faudra tout d’abord avoir une évaluation du bassin hydrographique du secteur pour connaitre le débit d’eau dans le ruisseau et déterminer le type d’ouvrage qu’il faudra construire : ponceau avec un tuyau ou en arche? Pont? Cette étude est faite généralement par des bureaux d’ingénieurs ou des groupements forestiers qui ont le personnel pour le faire.
La deuxième question est de savoir si le cours d’eau est considéré comme un habitat du poisson. Il l’est par défaut sauf si à 250m en amont ou en aval du ponceau envisagé, il y a soit une chute de plus de 1m et absence de frayère, soit une roche-mère lisse avec pente d’au moins 5% et 4 pouces d’eau au plus, ou une pente du lit de 20% sur plus de 20 mètres ou le lit disparait sur plus de 5 mètres en amont. Parfois, il peut être avantageux de déplacer le projet pour profiter d’une chute, ce qui simplifiera de beaucoup l’aménagement du ponceau.
Si le poisson n’est pas présent, le ponceau devra respecter le débit calculé minimum tout en ayant un diamètre minimal de 450mm, être enfoui à 10% en respectant la pente du cours d’eau et ne pas réduire de plus de 50% la largeur du cours d’eau. Si le poisson est présent, le ponceau devra toujours respecter le débit minimal calculé, ne devra pas avoir de parois lisses, mais sera configuré différemment en fonction de la pente du cours d’eau.
• Pente 0-2% : ponceau à refoulement standard, comme on voit partout
• Pente 2-6% : le ponceau devra être de type à déversoir avec une pente maximale de 5% s’il a moins de 15m ou de 6% s’il a plus de 15m. Il devra aussi y avoir un bassin de dissipation d’énergie à la sortie.
Profil en long d’un ponceau à déversoir avec bassin de dissipation d’énergie à la sortie. Source : Pêches et Océans Canada
• Si la largeur du cours d’eau est trop large, on pourra se tourner vers les solutions d’une arche qui obligera un travail à sec et une mise en place soignée pour qu’elle conserve son intégrité ou d’un pont qui fera l’objet d’un plan d’ingénieur.
• Les travaux de voirie à l’approche du ponceau font aussi l’objet de précautions particulières. Par exemple, les fossés de drainage du sentier doivent être déviés vers des bassins de sédimentation à au moins 20 mètres de la limite supérieure de la berge. Les remblais doivent être stabilisés avec de la végétation.
L’ensemble de ces opérations pour le ponceau peuvent s’étirer sur plus de deux ans en fonction du nombre d’intervenants impliqués et de délais pour les autorisations écrites requises. Tout ce qu’il faut pour garder un bénévole mobilisé. En fait, obtenir les fonds pour faire des travaux est toujours une difficulté majeure pour les clubs, mais satisfaire le RADF pour obtenir les permis nécessaires pour traverser un cours d’eau ou un milieu humide est aussi colossal, surtout que le club devra investir des sommes considérables d’argent pour obtenir les permis, sans garantie d’acceptation du projet ni de l’obtention des subventions pour faire les travaux.
Voici un bref portrait de la situation dans les forêts publiques où les choses deviennent de plus en plus complexes, onéreuses et désespérantes pour les bénévoles des clubs. Un prochain article traitera du traitement des sentiers en milieux humides dans les zones urbanisées. Là encore, même si les clubs sont sortis du bois, ils sont loin d’être au bout de leurs peines.
Légende des photos :
Photo 1 : « Milieu humide caractérisé par la présence de plantes aquatiques dans la terre noire. Le sol est saturé d’eau. »Photo 2 : « L’aménagement d’un tel sentier en bordure d’un lac est impossible aujourd’hui. »Photo 3 : « Marais étendu avec eau affleurante »Photo 4 : « deleted. N’a pu.»Photo 5 : « Marécage : notez les racines sorties et la présence de mousse. »Photo 6 : «Marécage avec épinettes séchées»Photo 7 : «Cours d’eau avec bande riveraine très large»