Lors de sa réunion annuelle de type Lac à l’Épaule tenue à Pohénégamook, le Conseil d’administration de la FQCQ a visité dans le cadre d’une randonnée en quad les sentiers du circuit de la rivière Noire dans le Témiscouata. Les points d’attrait de ce secteur sont l’observatoire du mont Thompson, la chute du lac à l’Orignal et le Gros Pin. Ce dernier a fait longtemps les manchettes sur les forums de discussion et se dresse vers le ciel depuis les débuts de la colonie. Ça a l’air gros écrit comme cela, mais l’âge de l’arbre est évalué quelque part entre 250 et 500 ans… Comme les attraits sont rapprochés géographiquement, cela se prêtait bien pour une randonnée.
La prise de conscience…
Le chemin forestier pour y accéder est étroit et de longues sections sont complètement érodées et forment des crevasses profondément lavées par des orages diluviens localisés. Les quads descendent carrément dans la tranchée et progressent ainsi en zigzaguant au gré du tracé de la large faille gravée dans le sol. Puis nous quittons le chemin forestier pour nous engager dans un sentier étroit qui descend vers la vallée où se dresse depuis des lustres le Gros Pin. Ce sentier est étroit, est fait de descentes en épingles avec une surface de roulement de sol organique boueux laissant les racines des arbres à nu par endroit ou encore de grosses roches à demi enfouies dans le sol. Les longues flaques d’eau profondes sont aussi présentes. Le bonheur! En plus d’avoir le plaisir de laisser travailler le quad sur le genre de terrain pour lequel il est conçu, on a le plaisir des yeux de rouler dans une forêt ancienne avec des arbres de taille respectable. L’air est chargé d’humidité et l’on sent l’odeur de la terre mouillée ainsi que des effluves de résineux que les arbres laissent s’échapper dans l’air. C’est loin des autoroutes gravelées et nivelées! Premier point de prise de conscience.
On débouche finalement sur une clairière qui, en avançant un peu plus dedans, s’avère être la frontière canado-américaine. Cette frontière est aménagée d’un long corridor déboisé d’une centaine de pieds de large sur des centaines de kilomètres de long. Le point d’arrivée du sentier est situé dans le creux de deux grandes côtes très abruptes. Le pin ancestral aura sans doute pu résister au déracinement par de grands vents, niché bien à l’abri dans cette coulée.
Évidemment, le Gros Pin était un site d’arrêt et, réunis en groupe, nous avons tous eu la réflexion qu’il y avait peut-être un manque de sentiers naturels ou rustiques au Québec. Il reste peu de place pour faire travailler un quad 4×4 dans le réseau fédéré, car les normes d’entretien tendent à ce que les surfaces de roulement soient uniformes et bien drainées.
Réminiscence des derniers 15 ans…
En remontant sur mon quad, je me suis mis à me remémorer l’évolution du quad depuis les quinze dernières années.
J’ai commencé à rouler dans les sentiers en 2002 assis sur mon rutilant Yamaha Big Bear 350 1999 acheté d’occasion. À cette époque, une cylindrée de 350 cc n’était pas ridicule. D’ailleurs, je me souviens d’avoir tenu tête aux plus grosses cylindrées en sentier forestier sinueux, car moins puissant, mais plus léger que les grosses cylindrées, je pouvais me permettre de lancer plus agressivement ma monture dans les successions de courbes. En fait, mon fun se terminait sur les chemins forestiers. Les grosses enclumes avaient alors l’espace pour laisser les puissants moteurs s’exprimer et je peinais derrière à pousser mon pauvre ourson dans ses derniers retranchements à 75 km/h.
En cette journée de juillet 2018, je me suis souvenu du bonheur de rouler sur un chemin couvert d’herbe parsemé de flaques d’eau ici et là. L’odeur fraîche de l’herbe humide nous montait aux narines pour exacerber de manière plus qu’agréable un sens de plus. Plus loin, on escaladait à vitesse réduite un cran de roc, on se frayait un passage à travers les crevasses d’une côte ravinées par les pluies diluviennes et, bonheur intense, on mettait à l’épreuve notre système 4×4 dans le trou de boue qui s’était dévoilé au détour d’une courbe. On avait la satisfaction d’utiliser le potentiel baroudeur de notre véhicule. On se faufilait aussi dans un sentier étroit, à peine plus large qu’un quad, buché par des bénévoles qui avait déterminé le tracé en contournant les gros arbres ou les rochers volumineux. Peu importe si le soleil avait cuit la contrée durant la dernière quinzaine, la poussière y était inconnue, étant retenue par le couvert végétal.
La fréquentation de ces petits joyaux de sentiers forestiers est devenue un plaisir perdu dans le réseau des sentiers fédérés au Québec. En effet, le comportement des randonneurs commençait à changer doucement, mais irrémédiablement vers la recherche d’itinéraires plus rapides. Le but n’était plus de se rendre à l’étang à Télesphore ou à la pinède à Tancrède pour manger un lunch sur le petit poêle au butane après avoir vaincu les périlleuses affres de la nature sauvage canadienne, mais de se rendre au village voisin au quadruple de la distance. Les sentiers devaient donc pouvoir supporter le déplacement plus rapide des quads. Les tracés adoptent donc les chemins forestiers bien dégagés, les bulldozers et excavatrices aplanissent les accidents de terrain, redressent les courbes jugées trop raides, installent des ponts et ponceaux dans les règles de l’art, creusent des fossés afin de drainer la surface de roulement. Des concasseurs sont mis à l’œuvre afin d’adoucir les sentiers rocailleux. Raffinement suprême, les niveleuses apparaissent dans les sentiers afin d’éliminer tout nid de poule ou de roulière et passent même de deux à trois fois par semaine l’été dans certains secteurs. Fantastique! Certaines municipalités pourraient être humiliées en comparant leur performance d’entretien de leurs chemins de rang. Dans ce nouvel univers de sentiers fastrack, mon pauvre Big Bear aurait été bien dépassé.
Les effets du progrès
Est-ce que ce progrès n’a eu que de bons côtés? En fait, pas vraiment. Premièrement, le passage répété des niveleuses empêche la formation d’un couvert végétal qui gardera la poussière au sol. À moins d’une journée pluvieuse, un groupe de quad en déplacement soulèvera autant de poussière qu’un troupeau de bisons sauvages dans un film de cow-boys. C’est un irritant majeur. Personnellement, je ne trouve pas beaucoup de plaisir à distancer les quads d’un demi-kilomètre entre chaque pour voir quelque chose et être capable de respirer. De plus, de par le travail d’amélioration de la surface de roulement, on se demande pourquoi ceux qui roulent l’été paient pour l’option quatre roues motrices du véhicule. En fait, les Spyder pourront bientôt techniquement rouler dans les sentiers.
Je conviens que c’est un prix à payer pour assurer une vitesse de transit nécessaire pour rallier les villes dans le cadre du quad-tourisme. Je conviens aussi que les petits sentiers rustiques ne conviennent pas à la déferlante de côte-à-côte de 64 pouces avec leur moteur gavé par turbocompresseurs, qui ont besoin d’espace pour exprimer leur potentiel. Toutefois, ces engins sont conçus davantage pour conquérir les dunes de sable de Gladis que pour rouler à fond de train dans un chemin forestier étroit.
La question qui tue: a-t-on vraiment besoin d’autoroutes, partout?
Aujourd’hui, la construction de sentier fait l’objet de normes analogues à celle de la voirie forestière que ce soit au point de vue de drainage, de construction de chaussée, de ponceaux et ponts, de protection des milieux humides, etc. Si on veut bénéficier de programme de subventions pour construire un sentier, le sera bien difficile d’en déroger. Nonobstant ce fait, il faut à mon avis préserver le caractère rustique des sentiers de façon à maintenir le côté champêtre des randonnées accessibles. Le profil des quadistes n’est pas uniquement celui de randonneur longue distance. Il y a encore beaucoup d’explorateurs qui aiment exploiter les capacités de franchissement des quads, mais qui sont laissés en plan dans l’offre actuelle de la FQCQ.
Peut-être faire une révision de la politique de la FQCQ pour la classification des sentiers? Larges, bien dégagés et nivelés pour les voies de transit interrégions (Trans-Québec) et plus étroits, champêtres pour les sentiers locaux? À première vue, ça pourrait avoir du sens, à condition que la signalisation des sentiers de bon niveau y soit toujours présente pour indiquer les dangers et les directions aux intersections.